C’est moi, le grand Cèdre, gardien de la Ravignhouse, qui vous parle.
Rrrrmmm, Rrrrrrmmmm. Je dois me racler la gorge. Je ne parle qu’une ou deux fois par centaine de rotation de la Terre Mère, qui m’a mise au monde et qui me porte et me nourrit, chaque jour, fidèlement.
Le mois d’octobre.
Le mois des départs.
Les oies, les canards, les cigognes ont pris leur envol vers le Sud. J’aime leurs V dans le Ciel, comme une flèche qui pointe la lumière.
Je sens l’odeur des champignons qui viennent chatouiller mes aiguilles. Je sais que les habitants de la forêt s’en régalent !
Ce mois d’octobre a été particulièrement doux.
Les habitants de la maison aux volets violets sur lesquels je veille depuis une rotation de la Terre autour du grand disque lumineux n’ont pas eu à se chauffer.
Mes frères et sœurs feuillus ont revêtu leurs manteaux colorés et flamboyants, et le froid ne les en a pas encore privés.
Malgré cela, et sans doute parce que le grand astre Roi du ciel a réduit sa courbe, je ne les ai plus vus sortir prier autour du feu depuis leur fête aux vibrations d’adieux. Quelle belle fête ! Je les ai vus sortir, en procession, remercier ma sœur Rivière, j’entendais leurs chants s’élever au-dessus du chant de l’eau qui coule. Ensuite ils sont remontés jusqu’à moi. Ils ont fait une ronde autour de mon tronc, je me sentais intimidé par tant de proximité et tant d’amour. Leur gratitude, leur danse et leur chant me porteront encore pendant quelques dizaines d’étés ! Je ne suis pas prêt de l’oublier, par mémoire d’arbre ! Ensuite ils ont mangé, je les voyais s’affairer dans la cuisine et autour de leur table.
Je n’ai donc pas été surpris de voir d’abord le grand blond qui parle portugais, la grande blonde qui vient parfois me parler et leurs deux petits blonds qui se balancent à mes branches, préparer leurs affaires et partir. Mmmmm… Je leur souhaite une belle vie… Mmmmm… ils me manquent, c’est vrai.
Puis ça a été au tour des autres, de s’activer pour ranger leurs affaires dans des grandes boîtes marron, faites du bois de mes frères et sœurs. J’ai entendu des cris de joie 3 jours avant la nouvelle lune : certains avaient enfin trouvé un logement. C’est l’homme aux grands yeux verts et aux cheveux frisés, les deux femmes aux cheveux longs couleur flamboyant d’automne, et les 3 petits garçons énergiques qui font toujours du vélo à grande vitesse autour de la maison et qui jouent aux légionnaires romains, qui iront s’installer en ville, pas très loin de moi paraît-il, à « Voiron » ai-je entendu.
Ils ont encore eu quelques visites cadeau de dernière minute : un homme grand, brun, barbu, fort, que j’ai déjà vu plusieurs fois et qui a construit leur table à feu ; Hélène, qui les a beaucoup aidés en leur préparant à manger. Je l’aimais bien, elle venait me faire des câlins tous les jours. Je la sens très proche des êtres de la nature. Oh ! Et quelle joie de revoir la petite Océane qui venait m’enlacer chaque jour ! Elle les a aidés à déplacer leurs grosses boîtes marron dans le camion.
Ils ont démonté la yourte, ils ont encore dansé dans la salle des miroirs en bas de la maison, ils ont chargé et déchargé 5 camions de déménagement. J’ai cru entendre le prénom « Pablo » revenir plusieurs fois. Ils auraient laissé des boîtes marron chez lui apparemment.
Voilà, La Commune aux Rêves et leurs amis, ont quitté la Ravignhouse. Ils me manquent : leurs chants, leurs danses, leurs prières, les jeux des enfants. Je sais qu’il se séparent pour mieux se retrouver. Moi je sais quel est le lieu qui les attend. Les arbres savent tout. Mais je sais aussi que pour l’instant c’est un secret et que c’est leur chemin initiatique à venir. La recherche de ce lieu les fera grandir et va les réunir, plus forts que jamais.
Alors, parole d’arbre : Patience ! Vous le trouverez juste à temps, quand tout le monde sera prêt !